Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/260

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suprême de la propriété, par opposition à la théorie de l’occupation. Sur la propriété, cependant, il a bien, à ce qu’il semble, des idées quelque peu étranges, en admettant qu’elle puisse, de droit naturel, se perdre par le non-usage s’il s’agit de choses frugifères[1], tandis que la valeur et la propriété de la valeur pourraient être emmagasinées sous la forme d’une monnaie qui ne recevrait aucun emploi. Pourquoi Locke fait-il cette différence ?

L’Irlandais Berkeley (1685-1753), évêque de l’Église anglicane à Cloyne, est l’auteur du Querisi (ou Questionneur)[2], recueil de 595 questions, dans lesquelles il combat très énergiquement le préjugé mercantiliste d’après lequel l’or et l’argent sont la richesse par essence. Ce qui est plus intéressant encore, c’est que Berkeley, quoique protestant et dignitaire de l’Église établie, s’élève très loyalement contre la tyrannie politique et commerciale que

    terre laissée en commun sans qu’elle ait subi aucune culture ; et l’on trouvera que l’amélioration donnée par le travail fait assurément la plus grande partie de la valeur donnée à la terre. Je crois que c’est un calcul très modeste d’affirmer que les neuf dixièmes des produits de la terre utilisés par l’homme sont dus au travail : et même, si nous considérons rigoureusement les choses, telles qu’elles nous arrivent pour être employées à notre usage et que nous tenions compte des divers frais qu’elles ont coûtés, si nous voulons apprécier ce qui en elles est purement dû à la nature et ce qui est dû au travail, nous trouverons que dans la plupart des cas les 99 centièmes doivent être mis sur le compte du travail… C’est le travail qui donne à la terre sa plus grande valeur, et sans le travail elle en aurait à peine une appréciable. C’est au travail que nous devons la plus grande partie des produits utiles de la terre… Ce serait, si nous l’entreprenions, une singulière « numération à faire que celle des choses que l’industrie a imaginées et utilisées pour fabriquer chaque morceau de pain, avant qu’il fût converti à notre usage » (Essai sur le gouvernement civil, 1. II, §§ 40-43). Après cela il est assez singulier que Locke, dans son Treatise of raising the value of money, ait conclu que toutes les taxes, de quelque manière qu’elles soient établies, doivent porter sur la terre (comme le voudront plus tard les physiocrates).

  1. « Si l’herbe de son clos se pourrit sur la terre ou que les fruits de ses plantes et de ses arbres se gâtent sans que cet homme se soit mis en peine de les recueillir, ce fonds, quoique fermé d’une clôture et de certaines bornes, doit être regardé comme une terre en friche et déserte et peut devenir l’héritage d’un autre » (Essai sur le gouvernement civil, 1. II). — L’hypothèse se vérifie-t-elle en une proportion sérieusement appréciable ?
  2. Paru en 1735.