En fait, maints passages de Smith, de Say et de Ricardo montrent que ces maîtres admettaient fort bien un antagonisme accidentel des intérêts privés et de l’intérêt général, pourvu qu’il ne s’agît pas d’un antagonisme essentiel et constant. Le texte même de Smith qu’on lui reproche le plus, contient un mot qui empêche d’en généraliser la portée. « Chaque individu, disait Smith, tout en ne cherchant que son intérêt personnel, travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour la société que s’il avait réellement pour but d’y travailler[1] » ; quant à Ricardo, partisan de l’introduction des machines, il se déclare « convaincu que la substitution des forces mécaniques aux forces humaines pèse quelquefois très lourdement, très péniblement, sur les épaules des classes laborieuses[2] ».
Mais, une fois admis ces antagonismes en quelque sorte contingents, il est difficile de contester que, dans l’immense généralité des cas, là recherche honnête et morale-de l’intérêt privé de chacun réalise providentiellement le bien général de tous[3]. Or, c’est bien là ce que les économistes classiques ont mis en évidence.
Contre l’école classique anglaise, le reproche d’une trop grande confiance dans ce bien général résultant de la recherche individuelle des intérêts privés prend une double forme ; on accuse cette école de ne pas s’intéresser : 1° à la prospérité nationale ; 2° au bien-être des classes pauvres et ouvrières. Voyons séparément ces deux points.
1° Indifférence pour la prospérité nationale. — Ici le reproche vient principalement des partisans de la protection douanière.
À cet égard — nous en convenons sans peine — il se peut que la conception économique de l’école de Smith et de Ricardo soit incomplète. C’est là une question que nous discuterons tout spécialement à propos de Raymond, de