Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/358

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On dit que la liberté guérit les blessures qu’elle a faites. Non, répond Sismondi. Ni les capitaux, ni les hommes n’ont la mobilité que la théorie leur suppose[1] : la nécessité de rester où ils sont, tout au moins la simple habitude les retient dans le même genre d’emploi ou de travail, obstinés dans cette concurrence acharnée qu’ils se font entre eux et qui déchaîne les crises. Les inventions successives des machines rendent chroniques, par leur incessante répétition, des souffrances qui n’auraient dû être que passagères. On va ainsi à des antagonismes inévitables, dont les explosions rappelleront les guerres serviles de l’antiquité.

Sismondi méconnaît, en effet, deux faits économiques d’une importance capitale. Il ne voit pas, d’un côté, le travail que la machine a demandé pour être faite ou entretenue et d’où il ressort que la productivité réelle de cette machine est toujours beaucoup inférieure à sa productivité apparente ; d’un autre côté il ne voit pas davantage l’élasticité indéfinie de nos besoins, se dilatant ou se révélant à l’improviste dans chaque classe sociale, dès qu’apparaît le moyen de les satisfaire. Besoins nouveaux et inventions sont pour lui deux faits qui n’ont aucune connexité l’un avec l’autre, et il aurait pu bien arriver, lui semble-t-il, que le besoin de lire n’eût pas coïncidé dans l’histoire avec la possibilité d’imprimer[2].

Mais il est plus facile de décrire le mal que de trouver le remède Sismondi propose que les pouvoirs publics n’encouragent ni les inventions[3], ni les fortunes industrielles ; puis un impôt fortement dégressif à la base et le partage égal introduit là où il n’existe pas encore, feront obstacle à la concentration des patrimoines[4], en même temps que la loi limitera la durée du travail, ce qui aura

  1. L. III, ch. xiii, t. I, p. 302.
  2. L. VII, ch. vii, t. II, p. 319.
  3. L. IV, ch. iii, t. I, p. 350.
  4. L. VII, ch. viii, t. II, p. 340.