Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/44

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Au point de vue économique, un des textes les plus curieux de cette époque est celui de Théodoret, évêque de Tyr au IVe siècle. Celui-ci, dans son Traité de la Providence, explique l’inégalité des conditions, la richesse des uns et la pauvreté des autres, par la nécessité où Dieu a voulu que nous fussions de nous rendre de mutuels services par la diversité de nos professions.

« Si tous les hommes, dit-il, étaient égaux en richesses et en qualités, comment pourraient-ils jouir de la fortune ? Si tous vivaient dans une égale abondance, quels secours tireraient-ils les uns des autres dans les besoins et les nécessités de la vie ? Qui jamais eût attelé les bœufs sous le joug, qui eût labouré la terre et l’eût ensemencée, qui aurait fait la moisson, qui l’aurait portée dans l’aire et qui aurait séparé le blé de la paille, si la pauvreté ne l’eût forcé à prendre cette peine ?… Il faut convenir que, si tous les hommes étaient également riches, personne ne voudrait s’abaisser à être le serviteur d’un autre. Et de là il s’ensuit nécessairement ou que chacun serait obligé d’apprendre et de faire tous les métiers à la fois, ou que tout le monde manquerait des choses nécessaires à la vie[1]. »

Surtout il ne faut pas oublier que le monde religieux était alors beaucoup plus préoccupé de prêcher l’Évangile et de défendre le dogme contre les hérésies, qu’il ne pouvait l’être de donner des définitions ou des classifications d’un ordre économique. À cet égard l’école néo-chrétienne tombe aujourd’hui dans une grave erreur, quand elle ose affirmer, par exemple, que « dans les premiers temps du christianisme la nouvelle religion signifiait rénovation morale et sociale, et que, plus que sur les idées, elle influait sur les œuvres… avec la liberté qu’elle donnait à chacun d’adorer Dieu selon les impulsions de la foi privée[2] ».

C’est seulement aux XIIIe et XIVe siècle que les discussions

  1. Cité par Thonissen, op. cit., t. I, pp. 114-115.
  2. Sanz y Escartin, l’Individu et la réforme sociale, trad. fr., 1898, p. 297. — M. Sanz y Escartin n’appartient pas cependant à la démocratie chrétienne.