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qu’une promesse. Or, s’il reçoit moins, pourquoi cette différence ne serait-elle point compensée par l’assurance, d’une augmentation sur la somme, proportionnée au retard ? Cette compensation, c’est l’intérêt de l’argent[1]. »

L’école autrichienne, dans son ensemble, a montré beaucoup de finesse pour l’analyse des phénomènes les plus usuels de l’économie politique. Peut-être même, à leur égard, a-t-elle subtilisé et quintessencié. Elle n’a pas cependant mieux éclairé les grandes lois de l’économie politique ; elle n’a pas non plus mieux expliqué les modifications sociales qui sont nées de la grande industrie et de l’universalisation du commerce entre les peuples. Ce n’était pas, il est vrai, dans sa pensée, puisqu’elle s’adonnait par préférence aux spéculations de pure théorie.

  1. Mémoire sur les prêts d’argent, § 27. — Signalons, pour être complet, une opinion que certains théologiens catholiques s’efforcent d’introduire. Selon eux, l’organisation économique actuelle a donné à l’argent une force productive qu’il n’avait point autrefois. Jadis les écus n’étaient qu’un instrument d’échange — symbole plutôt que forme de valeur — pour passer du troc à la vente : et c’était peut-être l’idée d’Aristote. Mais ces écus sont devenus tout récemment autre chose, et ils renferment maintenant un pouvoir qui leur manquait autrefois. Ainsi s’expliqueraient la gratuité essentielle du mutuum dans les temps antérieurs et la tolérance moderne du prêt à intérêt. Mais il faut que l’on modifie radicalement cette organisation économique, afin que la gratuité essentielle des prêts d’argent réapparaisse d’elle-même (P. Antoine, Cours d’économie sociale, p. 507). — Il est inutile de montrer l’encouragement et l’appui que ces thèses donnent au socialisme. De plus, il est historiquement faux que la puissance productive de l’argent soit un fait tout nouveau. Elle peut trouver maintenant des occasions beaucoup plus fréquentes, et même des occasions continuelles, de s’exercer quelle que soit l’importance de la somme : et c’est pour cela que nous avons expliqué ailleurs par la présomption générale actuelle d’un lucrum cessans la permission ou tolérance que l’Église a consentie en 1830 (voir nos Eléments d’économie politique, 2e éd., p.479, et ici même, p. 335). Mais cette productivité a toujours existé. Je n’en veux pour preuves que les réclamations fort intelligentes que les négociants de Gênes et d’ailleurs avaient faites auprès du Saint-Siège, la pratique habituelle des marchands en foire pour les règlements à long terme, et enfin le texte même de Benoît XIV dans son Encyclique Vix pervenit de 1745, envisageant le cas où l’emprunteur aurait emprunté « ad fortunas suas amplificandas, vel novis coemendis prædiis, vel quæstuosis agitandis negotiis impensurus » : auxquels cas, du reste, la prohibition ordinaire était maintenue dans toute sa rigueur (Voyez nos Éléments d’économie politique, 2e éd., p. 473, et supra, Histoire des doctrines économiques, pp. 68 et 69).