Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/521

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productive du travail est remplacée parla force productive du temps[1].

L’idée du temps est-elle donc si nouvelle en cette matière ? Sans contester le moins du monde que M. de Bœhm-Bawerk soit le premier qui l’ait creusée et qui ait voulu en faire le pivot de tout un système de relations sociales[2], on peut faire observer que cette idée n’était inconnue ni des scolastiques, ni de Turgot. Au XIIIe siècle déjà on parlait du temps pour chercher à justifier l’écart de prix entre les ventes au comptant et les ventes à crédit. Mais les scolastiques rejetaient expressément la supériorité d’une valeur présente sur une valeur future, par le motif que le temps n’appartient qu’à Dieu et que nul homme ne peut le vendre[3]. On peut se souvenir, en effet, que saint Thomas ne permettait pas de vendre au dessus du juste prix sous la condition d’un paiement différé, ni de se faire vendre au dessous sous la condition d’un paiement anticipé, et cela parce que les choses, ayant un juste prix, ne pouvaient ni le dépasser, quand à la chose on additionnait le temps, ni ne pas l’atteindre, quand on en déduisait ce temps.

Turgot exploitait ce même argument du temps pour justifier l’intérêt des prêts d’argent. « Où ont-ils vu, demande-t-il, qu’il fallût n’avoir égard qu’au poids du métal livré dans les deux époques différentes, sans comparer la différence d’utilité qui se trouve, à l’époque du prêt, entre une somme possédée actuellement et une somme égale qu’on recevra dans une époque éloignée ?… Si une somme actuellement possédée vaut mieux, il n’est pas vrai que le prêteur reçoive autant qu’il donne, lorsqu’il ne stipule point d’intérêt : car il donne de l’argent et ne reçoit »

  1. Block, loc. cit., p. 367.
  2. Rae, dans son Statement of some new principles (1834) avait eu déjà une certaine notion de l’action du temps ; mais il envisageait le temps qui s’écoule entre la formation du capital et son épuisement par l’usage, plutôt que le temps, que l’on perd à faire le capital et que l’on gagne à l’employer (Voyez Boehm-Bawerk, op. cit., tr. fr., t. I, pp. 395 et s., et surtout p. 401).
  3. Supra, p. 63.