Mais ce prix ne saurait être susceptible d’une limitation bien précise : il admet donc, de l’avis unanime des théologiens, trois degrés : 1° le medium justum pretium ; 2° le summum, au dessus duquel il y aurait une injustice commise envers l’acheteur, dont l’ignorance ou les besoins particuliers seraient exploités ; 3° l’infimum, au dessous duquel ce serait le vendeur qui serait exploité et lésé.
L’opinion publique admettait volontiers, avec saint Thomas, que ce juste prix fût déterminé par le législateur[1]. Gerson, au commencement du XVe siècle[2], et un peu après lui Biel, qu’on peut appeler le dernier des scolastiques[3], vont jusqu’à dire que personne n’est censé plus sage que le législateur. Les maxima légaux sont un des traits économiques de la fin dit moyen âge, dans une période où l’autorité commençait à se sentir assez forte pour étendre aussi loin son pouvoir réglementaire, mais où elle n’était pas encore assez éclairée pour comprendre les avantages de la liberté. Cependant les monopoles corporatifs, l’étroitesse des marchés et les difficultés des transports pouvaient paraître donner à ces mesures une justification que plus tard elles n’auraient plus eue aux mêmes titres. Les prix légaux étaient toujours édictés dans l’intérêt de l’acheteur.
- ↑ Saint Thomas : « In unoquoque loco ad rectores civitatis pertinet determinare quae sint justae mensurae rerum venalium, pensatis conditionibus locorum et rerum » (Summa theologica, IIa IIae, quaestio LXXVII, art 2, ad secundum). — Sur la question du juste prix envisagé sous son aspect économique, voyez Ashley, An introduction to English economic history and theory, t. I, ch. iii, sect. xvi : « Aquinas on just price ». Nous verrons plus loin qu’Ashley appartient à l’école historique. — Voyez aussi Claudio Jannet, le Capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, pp. 232 et s.
- ↑ Gerson (1363-1429) ; chancelier de l’Université de Paris : « Justa lege potest institui pretium rerum venalium, ultra quod pretium non liceat venditori exigere, imo nec emptori dare » (De contractibus, prop. xviii).
- ↑ Biel, recteur de l’Université de Tübingen, mort en 1495. : « Cum pretium sit in cpmmutationibus tanquam médium adaequatorium, et difficile est medium illud invenire,… illud medium aceipere oportet prout sapiens determinabit : nullus autem sapientior censelur législature » (Collectorium sententiarum, quaestio ix). — Biel est l’auteur de Epitome seu collectorium circa Lombardi sententiarum libros (paru en 1501) et du traité De monetarum potestate et utilitate (1488).