Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/580

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Une autre cause, d’un ordre plus nettement philosophique, aidait en même temps à l’avènement du socialisme d’État. C’était la thèse de l’autorité et de l’infaillibilité directes de l’État en matière de doctrines, l’État se présentant alors, non comme un pouvoir délégué, mais comme détenant en propre et par lui-même le droit de définir le bien, le juste et le vrai.

Le monde avait vécu de longs siècles sur la croyance à des lois que les hommes n’ont point faites, et pendant de longs siècles aussi l’on avait reconnu à l’Église la mission d’enseigner ces lois. De là, la séparation du pouvoir ecclésiastique et du pouvoir, séculier ; de là, la distinction du domaine religieux et du domaine civil. L’Église, en revendiquant la direction des consciences, les défendait du même coup contre les entreprises de l’État. Or, la philosophie du XVIIIe siècle effaça cette ligne de démarcation avec plus de succès que n’en avaient eu toutes les écoles qui l’avaient essayé auparavant ; et l’État se vit attribuer le rôle de guide des âmes et des intelligences, non pas sous l’autorité de l’Église ou comme représentant d’une Église, ainsi qu’il avait pu arriver jadis, mais indépendamment des Églises et contre elles. Schmoller regarde l’État comme « la plus grandiose institution qui existe pour l’éducation de la race humaine[1] » ; et l’école historique allemande, en émettant cet axiome, ne faisait que répéter les idées de M. Dupont-White, pour qui l’État est le « principe de ce qu’il y a en nous de plus élevé… un être intermédiaire entre les individus et la Providence… médiateur entre la raison absolue et l’esprit humain… doué d’une autorité morale qui ne le cède en rien à celle d’une Église[2] ».

Or, l’école historique, dont le propre est de réduire la part de l’absolu et même de l’exclure lui-même s’il est

  1. Cité par Ingram, Histoire de l’économie politique, tr. fr., p. 350.
  2. Dupont-White, l’Individu et l’État, 1857, pp. 166, 265, 278.