On sait cependant que Spencer, bien qu’il ait pour ainsi dire inventé la théorie de l’organisme social, était individualiste. La Statique sociale, l’Homme en face de l’État (The man versus the State) et la Justice marquent à des degrés divers, selon les périodes de sa vie, sa tendance à retrancher sur le domaine de l’État pour agrandir le domaine de l’individu[1]. Nous ne nous chargeons point de dissiper ou d’éclaircir cette contradiction : nous la tenons pour irréductible, et les explications que le philosophe en a tentées, ne sont pas de nature à satisfaire les logiciens tant peu rigoureux[2].
Bien plus, pour des spiritualistes ou des chrétiens, ce n’est pas la comparaison entre l’âme et l’État, entre les membres du corps et les membres de la société, qui pourrait efficacement rassurer l’individu contre le despotisme de cette société, puisque l’assimilation voudrait précisément que l’État fût le principe de nos vies individuelles, comme l’âme est le principe qui infuse la vie dans nos membres et qui la leur retire quand lui-même s’en détache, il est exact sans doute que l’idée d’un organisme social était apparue déjà dans Platon[3] et même dans Aristote[4]. Mais si ce sont là des arguments pour perpétuer l’usage d’une métaphore devenue dangereuse, il ne faut pas oublier non plus que ni l’un ni l’autre de ces deux grands penseurs n’avaient assez solidement fondé la liberté de l’individu contre la puissance de l’État.
Il reste vrai que la thèse organique, celle que M. Izoulet a poussée jusqu’à ses dernières conséquences, mais dont il n’est point l’unique apôtre, contient en germe les pires tyrannies dans tous les ordres. Que deviennent l’homme et la liberté dans cette conception d’un être social doué d’une
- ↑ Sur « l’individualisme sociologique » de Spencer, voyez Schatz, l’Individualisme, IIe partie, ch. vin, pp. 429 et s.
- ↑ Voyez sur cette difficulté Henri Michel, l’Idée de l’État, 1896, pp. 462 et s.
- ↑ Platon, République, 1. II, III et IV, passim ; — Lois, 1. VIII.
- ↑ Aristote, Politique, 1. I, ch. xi. — Voyez sur ce point Souchon, Théories économiques dans la Grèce antique, pp. 59-61.