Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/608

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qui n’y conduit pas du tout, nous avons vu comme il était en honneur chez les physiocrates, si prompts à parler d’ordre « social » et d’intérêt « social ».

« Pierre Leroux, dit le Handbuch des Socialismus, avait forgé ce mot « socialisme » pour l’opposer au mot « individualisme », et pour désigner une organisation politique où l’individu devait être sacrifié à la société. Le sens en a changé depuis lors, et Pierre Leroux est resté seul en France à donner cette acception. Le « socialisme » ne consiste plus, en effet, à sacrifier l’individu au bien de la société, selon l’idée des anciens, qui assignaient pour fin à la politique, non pas le bonheur de l’individu, mais le bonheur de l’État considéré comme un tout. Le terme « socialisme » n’est resté que pour caractériser dans son expression la plus haute l’idée moderne du droit de l’individu au bonheur. Ce bonheur de l’individu, l’antiquité dans sa période de splendeur le faisait consister dans le service de la collectivité ; le moyen âge, ne reconnaissant les individualités que dans le domaine religieux, le faisait trouver dans un monde de l’au-delà ; c’est dans ce monde ci, au contraire, que les idées modernes placent cette félicité qu’il faut atteindre. Elles mettent la société à son service et la font responsable de son insuccès si ce bonheur n’est pas obtenu[1]. »

Ainsi entendu, le socialisme implique la jouissance égale ou commune des biens, instituée et garantie par la loi ; généralement il implique aussi, pour l’avenir au moins, sinon pour le présent, la jouissance égale ou commune des femmes, tout au moins l’union libre et passagère. Aristote avait déjà signalé en maint passage de sa Politique la connexité que présentent la question des femmes et celle des biens[2] : et il y a eu toujours un défaut de franchise ou

  1. Stegmann et Hugo, Handbuch des Socialismus, 1897, p. 752.
  2. Aristote, Politique, 1. II, ch. ii. — Thiers, dans son ouvrage de la Propriété, a un beau chapitre sur cette union des deux questions de la famille et de la propriété (1. II, ch. v). — Cependant il ne faudrait pas croire que