Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/616

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c’est-à-dire patriarcale comme elle le fut partout à l’origine des civilisations, garda toujours son caractère absolu et particulariste. Plus tard les jurisconsultes ne rompirent pas avec la tradition quand ils creusèrent l’idée du jus in re et du dominium ex jure Quiritium. Ainsi, contrairement donc à la conclusion socialiste, il se trouva que le peuple où le concept de la propriété avait été le plus énergique, fut celui qui finit par subjuguer la Grèce et le monde. Cela suffit bien, ce semble, pour renverser les explications que l’on prétendait fournir.

Plus tard, la communauté de biens volontaire et toute libre que les premiers chrétiens pratiqueront, ne reposera sur aucune théorie socialiste[1]. Outre qu’elle n’affectera pas la production et qu’elle consistera dans une distribution commune des richesses particulières, il faut surtout observer qu’elle sera purement facultative. Parfois, il est vrai, on a objecté la punition d’Ananie et de Saphire tombant morts aux pieds de saint Pierre : mais on a volontairement omis de remarquer qu’ils étaient punis, non pour avoir gardé quelques biens propres mais pour avoir menti sur l’étendue de leurs dons. L’apôtre le dit expressément à Ananie : Nonne manens tibi manebat etvenumdatum in tua erat potestate[2] ? Et saint Paul, faisant une

  1. Voyez Henri Joly, le Socialisme chrétien, 1892, pp. 38 et s. ; — Thonissen, Socialisme depuis l’antiquité, t. I, ch. iii, §§ 1 et 2. — É. de Laveleye altère l’histoire et la vérité quand il écrit : « C’est bien sur cette terre que la transformation devait s’accomplir. Les premiers chrétiens croient tous au millénium. D’instinct et comme conséquence naturelle de leur foi, ils établissent parmi eux le communisme... Lorsque le temps fut passé et qu’il fallut renoncer à la venue du royaume d’ici-bas, on ne l’espéra plus que dans un autre monde, dans le ciel... Le christianisme a gravé profondément dans nos coeurs et dans nos esprits les sentiments et les idées qui donnent naissance au socialisme. Dans tout chrétien qui comprend les enseignements de son maître et qui les prend au sérieux, il y a un fond de socialisme ; et tout socialiste, quelle que puisse être sa haine contre toute religion, porte en lui un christianisme inconscient » (Socialisme contemporain, 10e éd., 1896, pp. XIV-XVII). — Il est étrange qu’on ose afficher une ignorance aussi profonde de ce qui fait et a toujours fait l’essence du christianisme. Nous reviendrons d’ailleurs plus loin sur ces questions à propos de « socialisme chrétien ».
  2. Actes des Apôtres, v, 4.