Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/615

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Nous avons vu plus haut qu’Aristote a défendu la propriété contre Platon[1]. Aristote cependant n’est ni un libéral, ni un individualiste au sens moderne des mots : ainsi paraît-il admettre, au point de départ, un lotissement des terres entre les citoyens, avec propriété urbaine et propriété rurale tout ensemble, pour que les deux parties du territoire leur importent également à défendre[2] ; et ses procédés pour empêcher la surpopulation s’inspirent de l’étatisme le plus cynique[3]. Mais s’il approuve d’autre part que la cité ait des biens pour subvenir aux dépensés du culte, ce n’est pas plus du collectivisme qu’il n’y en avait en France avec les biens de l’Église, avant que ceux-ci eussent été confisqués[4].

On a soutenu que la Grèce est morte d’avoir renié ses conceptions égalitaires et de s’être laissé entraîner à un régime de propriété, capitaliste : et voilà, dit M. Platon (rien de commun avec son homonyme d’Athènes), pourquoi les Romains l’ont conquise[5]. On veut en conclure que nous mourrons, nous aussi, par la propriété, si nous ne nous hâtons pas de la proscrire. Sans entrer dans l’exposé des luttes intestines et des convulsions sociales au milieu desquelles la Grèce perdit son indépendance, nous nous bornerons ici à faire remarquer que ses vainqueurs, parmi lesquels les utopies socialistes ne pénétrèrent jamais, avaient encore bien davantage l’instinct de la propriété. Chez les Romains, en effet, la propriété, familiale au début,

  1. Supra, p. 16.
  2. Politique, 1. IV, ch. IX, § 7.
  3. Ibid., ch. xiv, §§ 6 et 10. — Voyez supra, p. 20.
  4. M. Souchon (Théories économiques dans la Grèce antique, pp. 168-169) y voit cependant du collectivisme, et il conclut que « quand on représente Aristote comme le grand défenseur dans l’antiquité grecque de la propriété individuelle, on méconnaît une partie de sa doctrine… Les passages du maître sont formels, et ils marquent très légitimement sa place à côté du Platon des Lois parmi les ancêtres lointains d’une doctrine qui a eu, d’ailleurs, bien d’autres précurseurs avant que Karl Marx eût écrit le Capital » (Op. cit., pp. 169-170). — De même, p. 190, le « socialisme d’Aristote ».
  5. Le Socialisme en Grèce, par G. Platon, Paris, 1895.