Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/626

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par les contemporains : personne, même parmi les souverains absolus et presque féodaux de ces temps là, n’y vit rien de subversif. Enfin la mort noble et courageuse de Thomas Morus, désapprouvant les divorces d’Henri VIII, est la protestation la plus éloquente contre les soupçons d’innovations téméraires que l’on voudrait faire peser sur sa mémoire.

Il n’en a pas moins joué un rôle fort dangereux. Il se peut même que son Utopie ait contribué à la révolution anabaptiste de Munster et surtout au mouvement semblable qui éclata à Amsterdam en 1534, avec l’appui de Gélen, le lieutenant de Jean de Leyde. Comme le dit Kirchenheim, « Morus a fourni les arguments nécessaires pour lancer contre les classes qui possèdent, des injures de toute sorte et si l’Utopie n’était pas visiblement une œuvre d’imagination, on ne saurait l’absoudre d’avoir méconnu les lois économiques[1]. »

Il se peut encore que l’œuvre de Morus, avec beaucoup d’imagination, renferme une certaine part, de vérité descriptive ou au moins de sincérité[2]. Les plus anciens navigateurs, Christophe Colomb et Améric Vespuce, avaient trouvé des populations communistes : le premier aux Antilles, avec une certaine morale rudimentaire de sauvages, le second au Venezuela, avec l’anarchie, l’impudeur et l’anthropophagie[3]. Thomas Morus pouvait donc bien avoir recueilli, dans son voyage en Belgique, quelques échos des récits des voyageurs.

    pussions creuser davantage ce sujet et nous en entretenir plus à notre aise. En attendant, il m’est impossible d’acquiescer à tout ce qu’il a dit, quoique d’ailleurs ce soit sans conteste un homme des plus instruits et des plus expérimentés. En même temps je reconnais, sans peine qu’il y a dans la République des Utopiens beaucoup d’institutions et d’usages que j’ai le désir, plutôt que l’espérance, de voir s’implanter dans nos États » (Op. cit., lib. II, pp. 297-299).

  1. Kirchenheim, Éternelle utopie, trad. fr., 3e éd., p. 72.
  2. Kirchenheim, op. cit., ch. vi, pp. 74 et s. de la trad. fr.
  3. Voir les autorités citées par Kirchenheim (les Décades de Pierre Martyr, les lettres d’Améric Vespuce et les Quatre navigations de Waldseemüller, 1507).