Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/679

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ment qui fixerait aussi les salaires dans les divers ateliers, parce que les inégalités dans les conditions matérielles de la vie ne permettraient pas que ces salaires fussent égaux d’un bout de la France à l’autre. Les travailleurs éliraient par atelier les chefs des travaux, sauf pour la première année, où, ne se connaissant pas encore, ils ne pourraient que laisser cette nomination à l’État, Louis Blanc insiste beaucoup sur la différence que cette pratique de l’élection met entre son système et celui de Saint-Simon, qui faisait l’État réellement omnipotent par sa hiérarchie de fonctionnaires-pontifes[1]. Les diverses industries seraient ensuite rendues solidaires les unes des autres, grâce à un prélèvement que l’État ferait sur les bénéfices de celles qui auraient été plus prospères et qu’il reverserait sur celles que des causes accidentelles auraient mises en souffrance.

Sur la question des salaires, Louis Blanc, au début, voulait que dans chaque atelier les salaires fussent égaux par tête d’ouvrier, abstraction faite des aptitudes ou des efforts : car il proclamait que « l’inégalité des aptitudes doit aboutir à l’inégalité des devoirs, mais non à l’inégalité des droits », ce qui ne l’empêchait point de conclure que tous les travailleurs, dans son système, auraient été intéressés à produire vite et bien. Plus tard, dans un mémorable discours du 3 avril 1848 aux délégués des corporations ouvrières de Paris, il abandonna avec éclat la formule de l’égalité des salaires pour la remplacer par celle-ci : « Que chacun produise selon son aptitude et ses forces ; que chacun consomme selon ses besoins ». Les salaires redeviendraient donc inégaux, mais ce ne serait plus d’après la production du travailleur, ce serait d’après sa consommation. Actuellement le travailleur est incité à produire : avec la dernière formule de Louis Blanc, il ne serait incité qu’à dilater ses besoins et à

  1. Organisation du travail, 9e éd., pp. 207 et s.