Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/690

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Sans doute nous ne le citerions pas ici, si ce n’était pas lui qui a inventé le mot « socialisme » et le sens nouveau du mot « solidarité », en faisant sortir ce dernier terme de la langue du droit pour l’introduire dans celle de la vie sociale. Nous n’applaudissons point à ce néologisme, avons-nous déjà dit, persuadé que nous sommes que ce vague mot de solidarité a exercé partout une funeste influence pour affaiblir la notion du devoir personnel et pour acclimater peu à peu les formules mêmes du plus pur socialisme. Pierre Leroux, d’ailleurs, eut parfaitement conscience de la transformation morale qu’il voulait opérer grâce à cette conquête de dictionnaire[1].

En fait, la Révolution de 1848, qui allait éclater, fut plus franchement socialiste qu’aucune autre, et en cela son caractère économique est très nettement différent du caractère de la grande Révolution française. Même la Commune de 1871, faute de temps sans doute, ne montra, pas un égal souci, soit de dogmatiser, soit de reconstituer la société.

Or, quelle fut, en 1848, l’attitude des catholiques devant cette explosion de socialisme[2] ?

Il est certain que les socialistes leur firent les avances les plus expressives, si intéressées et si peu sincères qu’elles pussent être. Les titres de plusieurs journaux socialistes en disent assez. Bûchez, saint-simonien et carbonaro, et son collaborateur Roux-Lavergne intitulèrent le leur la Revue nationale, organe de la démocratie chrétienne. Une autre feuille, qui parut assez longtemps, s’appelait le Christ républicain, nom qu’elle remplaça bientôt par ce-

    — Raillard, Pierre Leroux et ses œuvres, Châteauroux, 1899 ; — Isambert, Idées socialistes, pp. 206 et s.

  1. « J’ai le premier — dit-il dans la Grève de Samarez (1863) — emprunté aux légistes le mot de solidarité, pour l’introduire dans la philosophie c’est-à-dire selon moi dans la religion. J’ai voulu remplacer la charité du christianisme par la solidarité humaine. »
  2. Sur cette question, étudier un des chapitres les plus suggestifs du Socialisme chrétien de M. Henri Joly, ch. iv, pp. 180 et s.