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Le journal l’Ère nouvelle, dont le rédacteur principal était un économiste, M. de Coux, se distinguait dans cette dangereuse et fausse tactique[1]. Mais en face de lui était l’Univers, où alors Louis Veuillot n’admettait pas de transaction avec l’erreur. M. de Montalembert, sur cette question là, combattait aux côtés de Veuillot, en déclarant que le plus grand péril social était la naïveté des gens religieux, qui pactisaient avec les démocrates socialistes et qui les encourageaient à mettre le Christ de moitié dans les prédications les plus incendiaires. Il y a de cela soixante ans, et nous pouvons dire que nous avons connu bien près de nous de ces mêmes naïfs.

Mais pour lors les tentatives de socialisme chrétien échouèrent. Les leçons de choses que le socialisme osa donner en 1848 et 1849, dessillèrent les yeux des quelques honnêtes gens abusés, et les avertissements que Pie IX leur adressa dans son Encyclique du 8 décembre 1849, datée de Gaëte, brisèrent ce lien qu’on tentait de former entre des hommes faits pour ne pas s’entendre[2].

Il fallut un intervalle de près de trente ans pour qu’on essayât de renouer le fil ; car même les nouvelles leçons de choses que donna la Commune, ne suffirent pas à empêcher cette seconde tentative, si tant est que pour la France ces derniers événements ne l’aient pas précipitée.

  1. L’Ère nouvelle prenait parti pour le papier-monnaie, l’impôt progressif et le droit au travail. « Nous n’en sommes plus à la Terreur, disait-elle le 8 mai 1848. Maintenant qu’il s’agit du redressement des anciennes injustices sociales, qu’il s’agit de dépouillement volontaire, de renoncement à soi-même, de fraternité, nous nous retrouvons en plein christianisme ; nous reconnaissons les questions que l’Évangile avait posées. ». Et l’on tombait sur Malthus et Bentham. Ce même journal expliquait que la Révolution de février, quand elle avait proclamé qu’elle était « sociale », avait cédé à un mouvement qui était « l’impulsion même de l’esprit évangélique ». Un nommé Chevé, que son socialisme très authentique n’empêchait pas de se dire tout aussi catholique, écrivait en avril 1849 : « Le socialisme qui se propose cette sainte mission (consoler ceux qui pleurent et rassasier ceux qui ont faim), ne fait qu’accomplir la volonté de Dieu et préparer l’avènement de son règne ».
  2. Le cardinal Giraud, archevêque de Cambrai, condamna publiquement aussi le journal le Christ démocrate socialiste.