Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/738

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mariage actuel, sous cette réserve qu’il devienne dissoluble. « L’amour libre, en effet — dit Menger — doit être comparé à la libre concurrence, à la liberté de contrat et à d’autres institutions économiques semblables, qui, sous le couvert d’une liberté trompeuse, assurent la domination des riches et des puissants. »

Ce sera seulement lorsque « l’État populaire du travail aura entraîné la régénération juridique et morale de l’humanité, mais alors seulement, qu’il sera possible de songer à réformer la vie sexuelle[1] ». Pareillement « l’État populaire du travail devra bien longtemps faire une place, dans son système juridique, au devoir alimentaire et au devoir éducatif des parents », ce qui aura l’avantage « d’opposer à la surpopulation une barrière sociale aussi efficace que le régime juridique actuel[2] ».

Au résumé, ce qu’il y a de particulièrement intéressant dans ces pages de Menger, c’est là description des procédés de transition. Notre socialisme réformiste contemporain, avec les lois qu’il élabore, surtout en France, et avec les concepts juridiques nouveaux qu’il cherche à introduire, ne paraît guère imaginer autre chose, si ce n’est qu’il ne parle pas de la commune obligatoire, ni du domicile et du métier forcés qu’elle imposerait, et si ce n’est aussi qu’il a pris, pour levier, dans son dessein de soulever le

  1. Op. cit., pp. 184-187.
  2. Op. cit., pp. 196-197. — Au risque de faire sourire, je citerai ce procédé de moralisation : « L’État populaire du travail, dit Menger, chargera des personnes entièrement indépendantes de publier des journaux officiels d’un caractère local ; chaque citoyen pourrait les utiliser quand il s’agirait de stigmatiser les actions immorales qui iraient contre le bien public ; en ce qui concerne les autres, leurs colonnes ne seraient ouvertes qu’à l’individu lésé. On se bornerait, ainsi qu’il est conforme à l’essence de la moralité proprement dite, à rendre public l’acte immoral ; nulle autre peine ne pourrait être suspendue sur son auteur… Je crois qu’un pareil système de publicité protège plus efficacement la moralité que notre religiosité tiède, rongée de mille doutes » (Op. cit., p. 83). Décidément Menger habite en Utopie ! Quel pays de Cocagne pour les mauvais sujets de tous les genres ! — On peut voir dans d’Eichtal (la Formation des richesses et ses conditions sociales actuelles, 1906) une discussion contre Menger qui ne manque pas d’intérêt (Op. cit., pp. 408 et s., pp. 417 et s.).