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dirait-on, le législateur a cru servir l’intérêt général par cette institution de la propriété foncière : mais il pourrait bien à l’avenir se flatter de le servir davantage par son renversement.

En faveur de la nationalisation du sol deux ordres d’arguments ont été particulièrement invoqués, à savoir : 1° que le droit de vivre qui compète à tout homme, ne peut pas être exercé sans une part au moins indivise de la propriété de la-terre ; 2° que l’unearned increment (ou accroissement non gagné), étant causé par la société, doit lui revenir à elle-même et à elle seule (théorie de la rente).

I. — La nationalisation du sol basée sur le droit de vivre.

Cet argument a été surtout développé et exploité par de Colins.

De Colins (1783-1859), originaire de Bruxelles, long-temps médecin à la Havane et établi ensuite en France, publia, après son retour de Cuba, le Pacte social (1835) et d’autres œuvres, qui lui valurent d’être appelé le « fondateur du socialisme rationnel ».

Voici les grandes lignes des thèses de Colins. L’homme ne peut travailler qu’en travaillant sur la matière. Tout

    en la regardant comme une institution légitimée par son utilité sociale. « Je ne crois pas, dit-il ailleurs, que la propriété individuelle du sol soit une institution commandée par le droit naturel, parce que l’homme ne peut revendiquer à ce titre que la propriété des produits de son travail » (Socialisme contemporain, p. 99). Voyez la discussion dans nos Éléments d’économie politique, pp. 43 et s. — Faut-il dire que la propriété du sol est de droit naturel ou bien qu’elle est conforme au droit naturel (ce qui permettrait une simple conformité négative, résultant de l’absence de non-conformité) ? En ce dernier cas, il faudrait admettre que la loi civile pourrait très légitimement interdire l’institution de la propriété privée sur un sol encore vierge de tous droits humains ; et il faudrait peut-être ajouter qu’on pourrait très légitimement ailleurs souhaiter un régime de nationalisation du sol. Sur cette grave question, nous nous bornons à faire remarquer que Léon XIII, dans l’Encyclique Rerum novarum, emploie les expressions : « La propriété privée est pour l’homme de droit naturel. L’exercice de ce droit est chose, non seulement permise, surtout à qui vit on société, mais encore absolument nécessaire », et ce texte se prête certainement beaucoup mieux à une conformité positive qu’à une conformité simplement négative.