Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/776

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Condamnerait-on au chômage et à la misère les aspirants éconduits et les compagnons éliminés, au risque de rendre plus intense dans un « cinquième état » la misère que l’on aurait tenté d’atténuer dans le « quatrième » par une hausse des salaires et par une plus grande régularité du travail, artificielles l’une et l’autre[1] ? Prendrait-on plutôt le moyen que M. l’abbé Naudet propose et qui consiste à renvoyer à l’agriculture, ou à y faire rester malgré eux, ceux des travailleurs auxquels on veut fermer de propos délibéré les portes des corporations ? Eh bien, en ce cas, n’est-il pas par trop puéril de répéter avec lui que l’agriculture manque de bras et que la France mieux cultivée nourrirait 300 millions d’habitants au lieu de ses 39 millions ? Car personne, heureusement, ne demande les mesures restrictives de la population que Sismondi et Stuart Mill avaient préconisées jadis.

En outre de cela, certains écrivains de ce groupe des chrétiens sociaux ont apporté des définitions et des formules de doctrine imbues du plus pur collectivisme, par exemple la formule du droit du travailleur au produit intégral.

Le comte de Lœsewitz, protestant converti, a obtenu que cette dernière doctrine trouvât une tribune dans la revue française l’Association catholique, que des liens intimes unissaient à l’œuvre des cercles catholiques d’ouvriers. Pour Lœsewitz, les fruits combinés du travail humain et du capital ne doivent revenir qu’à celui qui a mis personnellement en œuvre l’instrument du travail » ; la pratique contraire, que les capitalistes ont introduite à leur profit, constitue « la grande iniquité des sociétés païennes et, au point de vue économique, la dernière cause de toutes

  1. « On devrait exiger une capacité professionnelle pour entrer dans un métier, demander au moins de l’honorabilité… D’ailleurs on écarterait ainsi des professions honnêtes les incapables dont la concurrence fait baisser les salaires et produit les chômages, et que la loi de l’offre et de la demande contente suffisamment, parce qu’ils n’en méritent pas une autre » (M. l’abbé Troncy, les Corporations, 1894, p. 73).