Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/95

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exploitées les plus riches mines de cuivre, d’argent et de mercure de la monarchie espagnole.

Cette fortune colossale ne laisse pas que d’exciter l’envie ; on demande que les lois interviennent pour limiter les capitaux affectés aux entreprises industrielles, et puisque les Fugger sont du côté des catholiques dans les guerres de religion qui commencent à ensanglanter l’Allemagne, Luther dénonce la Fuggerei avec toute l’indignation d’un moderne socialiste[1]. Qu’on veuille bien nous pardonner cette digression, ne fût-ce qu’à raison de certains rapprochements qui nous semblent ici tout naturels. C’était, en dehors des Républiques italiennes, le premier exemple d’une fortune plus que princière amassée dans le commerce : c’était aussi la révélation inattendue d’une forme toute moderne de la richesse et même de la puissance.

D’ailleurs les saines idées qu’Oresme avait émises en France depuis plus d’un siècle, avaient trouvé un écho en Allemagne. Le traité De monetarum potestate et utilitate de Biel, paru en 1488, affirmait les vrais principes ; pour lui, l’empreinte gravée par le prince est une garantie du poids et de la sincérité de la monnaie : donc une altération monétaire est un mensonge. Toutefois, par une anomalie bizarre, Biel reconnaissait encore au souverain le droit de frapper de la monnaie faible, lorsqu’il s’agissait de couvrir des dépenses intéressant la nation comme les frais d’une guerre : en ce cas, en effet, quoi qu’en ait déjà dit Oresme, l’abaissement du titre apparaît à Biel comme un impôt indirect, utile autant que juste, levé sur tout le monde, c’est-à-dire sur les nationaux, car on ne doit pas imposer les étrangers et l’on n’a pas par conséquent le droit de les payer en cette monnaie. Plus judicieux en matière de bimétallisme, Biel demandait entre les deux monnaies d’or et d’argent le même rapport qu’entre les

  1. Au sujet du mouvement populaire allemand dans le but de faire limiter le capital dont une entreprise commerciale aurait pu disposer, voir M. de Girard, Histoire de l’économie sociale jusqu’à la fin du XVIe siècle, p. 246.