Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/104

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deux principes contraires. Il n’en a vu qu’un seul et il en a cruellement abusé. Voilà pourquoi il a nié tout ce qui pouvait tourner à l’honneur de la nature humaine, et avant tout la liberté ; voilà pourquoi, sous les noms de prédestination et de grâce, la fatalité règne dans les tristes royaumes du Dieu de Calvin : les justes n’y sont point heureux pour avoir recherché la justice, mais pour avoir été choisis par le bon plaisir divin ; les méchants n’y souffrent point pour avoir aimé l’iniquité, mais pour avoir été repoussés par la colère du ciel ; toutes les fautes y sont d’avance répai’ées, ou sont d’avance irréparables ; la mort y siège éternellement à côté de la vie ; l’harmonie n’y règne qu’aux dépens de la grandeur humaine et de la grandeur divine.

Je ne sais s’il est de plus grand exemple des séductions de la logique. Grâce au ciel, l’homme a rarement le courage d’être bon logicien. Quand il approche de l’absurde, un secret instinct l’avertit et il recule ; Calvin a manqué de cet instinct précieux ; il n’a pas su reculer. Il est resté prisonnier dans un certain cercle de pensées ; le reste lui a paru rêveries et fumées. Il n’a pas eu cette étendue d’esprit qui fait voir au philosophe les diverses faces d’un problème, qui lui permet de peser le pour et le contre, parce qu’elle lui permet de comprendre l’un et l’autre, et sans laquelle on poursuit en vain la vérité, car la vérité réunit les contraires et n’est jamais dans les