Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/145

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bien ; mais l’important est que l’on fasse vite. Nous ne faisons plus de livres, nous confectionnons des journaux ; nous n’écrivons plus, nous rédigeons. J’entendais un jour une personne de beaucoup d’esprit souhaiter qu’on découvrît bientôt une machine à penser. Ses vœux sont accomplis. L’écrivain de nos jours, voilà la machine à penser. Il se passe d’études originales et de réflexions approfondies ; mais il cause beaucoup, il entend beaucoup causer, et il feuillette nombre de livres. Ainsi il arrive à n’être complètement étranger à aucune question. Dans sa mémoire il y a une case pour chacune, et dans chaque case quelques semblants d’idées. Que si une question vient à l’ordre du jour, il sait où trouver de quoi la résoudre. Deux minutes lui suffisent pour faire le dépouillement de ses idées, puis il lui en faut deux autres pour les mettre en ordre, et quelques unes pour la rédaction. Et ainsi s’écrivent, dans un français plus ou moins pur, une foule d’articles, dont le fond ne vaut rien et la forme peu de chose, mais qu’on lit, parce qu’il faut avoir lu son journal. On acquiert à ce métier-là une dextérité merveilleuse. Supposez qu’une de ces productions éphémères nous arrive à l’état de fragments, il n’y aura pas à se poser la question préalable de savoir si l’auteur en avait conçu le plan définitif. Il est des auteurs privilégiés qui n’ont jamais conçu que des plans définitifs. De grâce, ne leur faisons pas injure.