Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/273

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mais tel qu’on se voit à travers la pensée actuelle, qui colore de ses teintes les pensées d’autrefois. Les plus fins y sont pris comme les plus naïfs, et on s’y achoppe au moment même où l’on se vante de ne plus s’achopper à rien. Cette page n’est vraie qu’à son jour et à son heure. Elle indique le moment où M. Sainte-Beuve s’est senti libre de toutes les influences antérieures et en a eu clairement conscience. Il a d’ailleurs moins côtoyé et il est plus entré qu’il ne dit. Il avoue un moment d’oubli, dans le monde de Victor Hugo, et sous l’effet d’un charme ; mais le charme a agi en divers temps et sous diverses formes. Il est difficile de dire quand M. Sainte-Beuve a été le plus attiré par Port-Royal ; mais je serais bien surpris si ce n’était pas avant son séjour à Lausanne, au milieu de sa vie de Paris, dans certains moments de lassitude et de retour sur soi. C’est en 1829 déjà qu’il écrivait les Larmes de Jean Racine, Quand il commence à professer Port-Royal, et à le confronter avec les types vivants de piété et d’austérité que lui offrait la société vaudoise, le critique a déjà pris le dessus. Il jouit de son travail, de son activité nouvelle, plus que jamais féconde et facile ; mais il se livre de moins en moins, il a des fuites, des retours, des refuites, et quand enfin, après dix ans, il écrit la page que nous venons de citer, c’est que le charme a cessé, mais pour faire place à un charme nouveau, celui du dégagement complet et de la liberté illimitée.