Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/276

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étiez vivants, si vous reveniez sur la terre, est-ce à vous que je courrais d’abord ? J’irais une ou deux fois peut-être, pour vous saluer et comme par devoir, et aussi pour vérifier en vous l’exactitude de mes tableaux, mais je ne serais pas votre disciple. J’ai été votre biographe, je n’ose dire votre peintre ; hors de là, je ne suis point à vous.

Ce que je voudrais avoir fait du moins, c’est d’amener les autres, à votre égard, au point où je suis moi-même : concevoir l’idée de vos vertus et de vos mérites en même temps que de vos singularités, sentir vos grandeurs et vos misères, le côté sain et le côté malade (car, vous aussi, vous êtes malades) ; — en un mot, à force de contempler vos physionomies, donner et sentir l’étincelle, celle même qu’on appelle divine, mais une étincelle toujours passagère, et qui laisse l’esprit aussi libre, aussi serein dans sa froideur, aussi impartial après que devant.

Il y aurait eu un profit plus grand peut-être à tirer de votre commerce, un profit pratique et tout applicable aux mœurs. Pendant que je vous étudiais, j’ai souffert, mais ç’a été tout humainement. J’ai été plus occupé des blessures de mon amour-propre que du fond même qui vous concernait. Je ne vous ai point imités, je n’ai jamais songé à faire comme vous, à mettre au pied de la Croix ( ce qui n’est que la forme la plus sensible de l’idée de Dieu) les contrariétés, les humiliations même et les injustices que j’éprouvais à cause de vous et autour de vous.

J’ai eu beau faire, je n’ai été et je ne suis qu’un investigateur, un observateur sincère, attentif et scrupuleux. Et même, à mesure que j’ai avancé, le charme s’en étant allé, je n’ai plus voulu être autre chose. Il m’a semblé qu’à défaut de la flamme poétique qui colore, mais qui leurre, il n’y avait point d’emploi plus