Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/277

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légitime et plus honorable de l’esprit que de voir les choses et les hommes comme ils sont, et de les exprimer comme on les voit, de décrire autour de soi, en serviteur de la science, les variétés de l’espèce, les diverses formes de l’organisation humaine, étrangement modifiée au moral dans la société et dans le dédale artificiel des doctrines. Et quelle doctrine plus artificielle que la vôtre ! Vous avez toujours parlé de vérité, et vous avez tout sacrifié à ce qui vous est apparu sous ce nom : j’ai été à ma manière un homme de vérité, aussi avant que je l’ai pu atteindre.

Mais cela même, que c’est peu ! que notre regard est borné ! qu’il s’arrête vite ! qu’il ressemble à un pâle flambeau allumé un moment au milieu d’une nuit immense ! et comme celui qui avait le plus à cœur de connaître son objet, qui mettait le plus d’ambition à le saisir et le plus d’orgueil à le peindre, se sent impuissant et au-dessous de sa tâche, le jour où la voyant à peu près terminée, et le résultat obtenu, l’ivresse de sa force s’apaise, où la défaillance finale et l’inévitable dégoût le gagnent, et où il s’aperçoit à son tour qu’il n’est qu’une illusion des plus fugitives au sein de l’Illusion infinie !

Voilà les adieux de M. Sainte-Beuve aux solitaires de Port-Royal après vingt ans d’intimité. Il les envoie, eux et leurs livres, comme lui et les siens, se perdre et rouler dans les abîmes de l’illusion infinie. Involontairement on se figure Vinet lisant ce morceau, lui qui avait assisté avec une si réelle sympathie à la première éclosion de l’ouvrage. De quelle tristesse il eût été saisi ! Et pourtant s’il avait eu présente à la mémoire cette autre page qu’il n’a pas pu lire non