Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/295

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t-il pas été appelé depuis moins d’un siècle ! Politique, science, vie du peuple, il a fait irruption dans ces vastes domaines, où à chaque pas il a rencontré l’inconnu. Aussi n’est-il pas surprenant que de nombreux écrivains aient entrepris de lui créer des ressources. Balzac, Michelet, Victor Hugo, s’y sont signalés, et le public, toujours maître de l’usage, juge naturel des nécessités auxquelles il faut pourvoir, a fait à lui seul plus qu’eux tous. Cependant, au plus fort de ses conquêtes, le français était menacé d’un appauvrissement trop réel. Instrument d’une société de choix, il était devenu d’une rare habileté à se plier au tour de chaque esprit. Il y a eu de tout temps un français banal comme une politesse banale ; mais, de même que la politesse, le français s’individualise par la délicatesse des nuances. Combien il lui faut peu de chose pour donner à la pensée un autre accent, pour passer par tous les degrés du sérieux et de l’ironie, du blâme et de l’éloge, de la bienveillance et du mauvais vouloir ! Son vocabulaire n’est pas volumineux et sa syntaxe est peu flexible, mais rien n’y fait double emploi ; chaque mot a sa signification, chaque tour sa valeur. Il n’y a point de synonymes en français, ou il n’y en a que dans les dictionnaires. À force de culture, le français avait tourné sa pauvreté en richesse. Or, c’est précisément cette richesse subtile, obtenue par adresse, qu’il était menacé de perdre. En même