Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/315

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas trop exigeant ? À le prendre ainsi, on se demande s’il vaut beaucoup moins que la moyenne des hommes, et si la France est impardonnable de l’avoir applaudi.

On dira peut-être que les peuples ont coutume d’être difficiles dans le choix de leurs élus, et qu’ils ne pratiquent guère cette hypocrisie de se faire plus mauvais qu’ils ne sont. On peut lire et goûter, les poètes grivois ; mais on ne leur donne que des éloges furtifs et ils jouissent d’une faveur clandestine. Un sentiment de naturelle pudeur avertit le peuple ; il sent que les souillures des renommées qu’il élève sur le pavois lui seront justement imputées, et l’homme licencieux a peu de chances de devenir poète national. Là est, je l’avoue, le côté grave de la popularité de Béranger. Pour l’acclamer si hautement, la France a dû manquer de cet instinct de pudeur. Toutefois la question est peut-être plus complexe qu’il ne paraît. France, popularité, poëte national : grands mots, dont le sens est élastique. Ces pays à forte centralisation sont un théâtre tout préparé pour les surprises et les entraînements. Tous les succès, grands ou petits, y soulèvent des flots de poussière, qui les grossissent à l’œil ébloui. Béranger est-il populaire en France comme Uhland en Allemagne ? Entend-on les paysans, réunis le soir devant les portes des maisons, entonner ses refrains ? Je connais mal les campagnes de France ; mais je parie-