Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/318

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imaginations cultivées. La seconde doit avoir pénétré davantage ; il ne se peut pas que de nombreux conscrits ne l’aient apprise et que par l’armée elle n’ait atteint le vrai peuple. Elle me semble aussi belle que simple et touchante. Peut-être « les frais appas dénichés dans les bois », jurent-ils dans la bouche de ce vieux grognard ; c’est le seul manque de simplicité qui m’y ait frappé. D’ailleurs, point de chauvinisme, mais le sentiment juste et profond de la vie militaire. Tout le livre de Vigny vaut-il cette seule chanson ? Cette fois du moins Béranger a été naïf, et malgré la petitesse du cadre il a touché au grand art.

Cette chanson me fait l’effet d’une passerelle jetée sur l’abîme qui sépare en France la poésie populaire de celle des lettrés. Elle suffirait pour recommander Béranger à l’indulgence de M. Renan. M. Renan ne fait-il pas aussi sa pointe du côté du peuple ? Longtemps il s’est retranché dans un quant à soi dédaigneux. Il n’écrivait que pour quelques esprits d’élite. Maintenant il multiplie les éditions populaires de sa Vie de Jésus, et nous allons la voir paraître enrichie d’illustrations. Il a dû hésiter longtemps avant d’entrer dans cette voie. Plusieurs l’en blâment, et il comprendra qu’on ne soit pas sans crainte en voyant un livre tel que la Vie de Jésus tomber en tant de mains. Mais pour lui-même, il ne peut que gagner à se rapprocher du peuple. Voici bien des années