déjà que l’art et la poésie, sentant la foule les abandonner, recherchent les sanctuaires pratiqués des initiés. Ils s’y raffinent à l’excès, et l’on peut prévoir le moment où le sens des nuances aura fait perdre à la poésie française celui des couleurs. M. Renan a ressenti cette influence. Quelques-uns des défauts qu’on lui a reprochés tiennent aux recherches aristocratiques de ses débuts. Du côté de la finesse, il a acquis tout ce qui peut s’acquérir. Seul l’instinct populaire, avec lequel les hommes vraiment supérieurs ont toujours de secrètes intelligences, peut devenir pour lui un maître utile en donnant à sa plume si déliée une touche toujours ferme et en le maintenant dans la grande ligne de la simplicité.
Je viens de découvrir un trait commun entre M. Renan et Béranger ; il lui dispute la popularité, il court sur ses brisées. Qui sait ? peut-être Béranger lui a-t-il préparé le terrain ? Combien d’hommes, dégoûtés par le chansonnier du Dieu que leur annoncent les prêtres, se sont-ils jetés avidement sur sa Vie de Jésus comme sur une satire de plus ! Il se pourrait aussi que quelques âmes, lasses de ne plus prier, aient trouvé dans le sentiment religieux qui l’inspire quelque rafraîchissement d’imagination. On parle de conversions opérées par M. Renan. Quoi qu’il en soit, je crois entrevoir une seconde ressemblance entre lui et le chansonnier. La distance qui les sépare est grande ; mais elle est mesurable et franchissable.