Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/363

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trompeurs dont la fonction est de dissimuler l’absence des idées ? C’est le signe de l’inconnu, et plus vous le prodiguez, moins vous savez ce que vous dites.

Ce qu’il y a de bizarre, c’est que la tentation de rendre raison des phénomènes par l’intervention d’une faculté simple et spontanée est d’autant plus grande que les phénomènes sont plus compliqués. Je me l’explique cependant. Nous associons naturellement les idées de simplicité et de rapidité. Quand un phénomène est instantané, nous nous le figurons comme simple, l’esprit ayant de la peine à concevoir, dans un moment indivisible, l’action simultanée de forces multiples. Il n’en est pas moins vrai que dans les phénomènes intellectuels et moraux, la soudaineté n’est pas le moins du monde en raison de la simplicité. Tout au contraire. Les opérations’de l’esprit sont d’autant plus promptes qu’il s’y porte tout entier, d’autant plus lentes qu’il se scinde pour agir. Il en est comme de nos mouvements physiques. Pour bouger un doigt de la main, les autres restant immobiles, il nous faut un effort qui demande du temps, tandis que la main tout entière se meut à volonté, avec aisance et rapidité. De même, nous ne pouvons dégager de nos pensées ce qu’elles ont de plus abstrait, c’est-à-dire raisonner en tenant l’imagination à distance, que par un effort laborieux et prolongé, tandis que la pensée poétique, qui est