Page:Rambert - Études littéraires, t2, 1890.djvu/299

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enfante. La poésie francaise a eu quelquefois de ces chances singulières. N’est-ce pas ainsi déjà qu’André Chénier lui etait venu de Bysance ?

Mais valait-il la peine de naître à l’Île Bourbon pour s’enfermer dans la religion d’Homère, d’Hésiode, d’Eschyle et de Sophocle ? N’est-ce réellement que de la mythologie grecque que Leconte de Lisle a tenté la resurrection ? Si là s’etait bornée son ambition, on pourrait en parler comme d’un engouement fortuit, d’un cas d’atavisme au moral. C’est bien par là qu’il a commencé. Ses premiers poëmes sont grecs, mais avec une tendance déjà marquée à remonter, en Grèce même, de l’ancien au plus ancien. Puis son horizon s’étend, et l’on voit, dans ses publications successives, apparaître la grande ambition moderne, qui est de tout ressaisir, de remonter à toutes les sources. Cet homme antique, qui maudit le siècle, en est cependant un enfant. Par delà la Grèce, il voit l’Orient, le véritable Orient, et toutes les traditions venues du berceau des Aryas trouvent en lui un interprète magnifique. Le nord ne lui est pas non plus étranger, et sa fantaisie créatrice fait revivre tour à tour les hymnes védiques et les runes scandinaves. Il est né pour être un des plus puissants collaborateurs de cette légende des siècles dont la critique et l’histoire fournissent tous les jours les matériaux à la poésie. Helas ! notre pauvre mémoire est un abîme ou s’engloutit le passé.