Page:Rambert - Études littéraires, t2, 1890.djvu/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’y a pas de halte définitive dans cette fuite du présent ; le présent nous poursuit, nous presse, nous enveloppe ; et c’est en vain qu’on veut lui échapper. Le rêve systématique aboutit au suicide ; c’est le dernier mot de la poésie qui a fait divorce avec la réalité. Tous ces Parnassiens finiraient tragiquement s’ils se prenaient au serieux. Leconte de Lisle a le mérite de ne l’avoir point dissimulé. Il a été jusqu’au bout de sa propre pensée, et l’on peut lui rendre le témoignage d’avoir, dans une certaine direction, épuisé la série des possibles. Si c’était une gageure, elle aurait été bien tenue.

Cette poésie, qui a I’air désespérée et qui est au moins désespérante, produira-t-elle son plein effet ? Le monde se suicidera-t-il ? C’est peu probable. Il y a tant de gens qui désirent vivre. La civilisation retournera-t-elle aux éléphants ? Elle n’y paraît guère disposée. Elle a une manière à elle de travailler dans le genre gigantesque, une manière qui n’est pas celle des Parnassiens. Elle perce les isthmes et les montagnes ; elle crée, par le moyen du télégraphe, des porte-voix qui vont d’un continent à l’autre ; elle creuse des tunnels sous la mer ; elle menace d’établir des rails dans le désert. Bientôt les voyageurs lents et rudes qui marchent la trompe entre les dents et les oreilles en éventail, les secoueront, ces oreilles, en entendant siffler la locomotive : tout cela se fait ou se fera, et d’ici à cent ans les poëtes irré-