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Page:Ramuz - Œuvres complètes - tome 8, 1941.djvu/150

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Lude ne se défendit point, il ne songea même pas à mentir, il dit tout de suite : « Je dois avoir deux ou trois cents francs. »

— Va les chercher.

Les premiers seront les derniers, dit l’Écriture. Lude sentait qu’il n’était plus ferme sur ses jambes. Il entra dans la maison ; Adèle voulut parler, il lui défendit de parler. Il passa dans la chambre. Il revint, elle le regardait, il lui dit : « Je te défends de me suivre », et, ayant pris la clef qui pendait à un clou, il ferma la porte à clef derrière lui.

Il revint à la remise, il se sentait toujours très faible. Criblet bougea dans l’ombre devant lui ; il toussotait comme quand on commence un rhume. Lude avait sorti l’argent de sa poche. Il dit à Criblet :

— C’est cent francs.

— Ça va bien, dit Criblet, et Criblet les lui prit (on ne distinguait toujours rien, et il n’y avait toujours rien que sa voix), mais les mains de Lude étaient vides.

On vit ce long corps se dresser de nouveau dans l’ouverture de la porte : Criblet s’arrêta, fit demi-tour :

— Merci bien !

Il toussota encore une fois, puis il dit : « Quand on n’aura plus rien, on reviendra. »

Il était loin, le bruit de ses pas se tut : quant à moi, est-ce que je rêve ? Non ! je ne rêve pas. Ah ! mon Dieu ; il a eu connaissance de mon secret, il peut faire de moi ce qu’il veut, parce qu’il connaît mon secret. Lude s’affaissa d’abord comme si on lui avait coupé les jambes. Mais presque aussitôt il se remit debout. Il sentit un feu s’allumer en lui et que son sang se mettait à bouillir, parce que c’était trop injuste. Il sortit, il était poussé par la colère. Il se trouva que Criblet ne s’était pas encore éloigné de beaucoup. Lude n’eut qu’à le suivre, il marchait derrière Criblet. « Je