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Page:Ramuz - Œuvres complètes - tome 8, 1941.djvu/151

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le tiens ! » pensait-il. Il n’y avait personne, et on y voyait très suffisamment, à cause de cette lumière verte dans quoi Criblet allait et Lude le suivait. Il regardait sous le chapeau, c’est là qu’il lui fallait viser, y atteignant du premier coup et d’un seul saut comme le chat. Il avait raison tout à l’heure : pas moyen de rester dans le tunnel ; mais il avait fait un progrès. À mesure qu’on s’avance dans le mal, le mal nous quitte, on l’use, on se débarrasse de lui. Et il s’était encore singulièrement rapproché de Criblet, sans que l’autre parût s’être douté de rien.

Il put choisir le bon moment. Le choc fut si violent que Criblet tomba la figure en avant et Lude tomba par-dessus lui, sans que ses mains se fussent desserrées.

« Je le tiens ! je le tiens ! ça y est ! »

Or, c’est Lude qui était sur le dos à présent, les mains de Criblet autour de son cou, le genou de Criblet sur sa poitrine.

Ils avaient roulé tous les deux dans la neige, où ils avaient creusé un grand trou en tombant ; Criblet souriait avec un côté de la bouche :

— Tu n’es plus rien, mon pauvre Lude !

Criblet se secoua comme un chien qui sort de l’eau ; des morceaux de neige tombaient de dedans ses oreilles.

— Ce que c’est tout de même que de n’être plus soutenu !

Puis, haussant la voix :

— Hé ! vous autres, criait-il, venez voir, si ça vous amuse ! (Et un écho dans le village lui renvoyait chacune de ses paroles.) Venez voir où ça mène de trop aimer le bien d’autrui.

Et il allait continuer sans doute, mais Lude à ce moment d’un coup de reins se redressa ; et, sans que Criblet eût d’ailleurs tenté de le retenir, il se sauvait droit devant lui, dans la nuit, à travers champs.