Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/101

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les grandes montagnes ; il y avait, entre deux pointes, une échancrure qui faisait comme un nid ; c’est là que le soleil venait de se montrer et on aurait dit qu’il battait des ailes. Une espèce de duvet rose, beaucoup de tout petits nuages se sont mis à monter dans les airs au-dessus de lui. C’était là-haut comme quand le coq se dresse sur ses ergots, ouvrant ses ailes qu’il fait briller, puis il les ramène à soi, alors toute sorte de petites plumes s’envolent, — qui étaient roses et en grand nombre, glissant mollement dans le ciel, pendant que sur les derniers champs de neige la lumière s’est allumée comme sur ces feuilles de papier d’étain que les enfants lissent du doigt. Elle n’a pas vu Rouge approcher ; on lui parle, elle n’entend pas qu’on lui parle :

— Mademoiselle, excusez-moi… Il faut que j’aille faire le déjeuner…

Mais elle n’a pas entendu, parce qu’il y a encore, en haut de la falaise, ces cris qui ne veulent toujours pas se taire : tous ces oiseaux ensemble et puis le merle ; alors aussi une vague plus haute que les autres s’est levée, vient plus avant. Rouge est rentré dans la cuisine ; on entend le bruit de la casserole, où il vient de verser le contenu du pot de lait. Elle a regardé par-dessus son épaule, elle regarde de nouveau vers le lac ; une deuxième vague est née, une deuxième vague se tend encore vers elle avant de se laisser tomber en avant sur les pattes, comme un chat. Rouge verse à présent le lait dans son récipient, ayant pris par l’anse le pot brun avec un bouquet