Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/16

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qui n’est qu’un lac et tout entouré de montagnes ; et Rouge cherchait à se représenter là-bas cet espace non limité, ces autres eaux sans fin, coupées à ras du ciel en rond comme avec des ciseaux dans de la toile bleue. Et là-dedans, ces six étages blancs (il se rappelait les images qu’il avait vues dans les journaux illustrés), des cheminées comme des tours :

— Ah ! disait Rouge, ça va vite (parce qu’il était un peu navigateur lui aussi). Aujourd’hui, elle ne doit plus être bien loin des Canaries…

Il disait :

— C’est des bateaux à turbines. Ils n’ont pas des bateaux à roues comme les nôtres. Sur l’océan, les vagues sont trop grosses.

Et c’était sous des oiseaux de mer, tandis qu’ici on n’a que des moineaux ; c’était dans le soleil brûlant, ici il faisait froid encore, les prés étaient couverts de gelée blanche le matin, à peine si les premières violettes se montraient dans les haies : — il n’y avait encore que très peu de bateaux à vapeur sur le lac et on n’y voyait guère de voiles non plus, parce qu’elles sont assez frileuses.

Ici, c’est tout petit ; il n’y avait que le bateau de Rouge qui était un bateau à rames.

On voyait Rouge qui ramait et c’était tout ce qu’on voyait.

Il faisait une eau grise, une eau comme du sable, ou bien couleur d’eau de savon ; le ciel qui était de la même couleur que l’eau empêchait de voir les montagnes.