Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/207

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Il a dit : « Il n’y a pas besoin d’aller plus loin. »

Ils se sont assis. Le terrain en gradins faisait partout comme des bancs couverts d’un peu d’herbe sèche où fleurissaient des espèces de petits pissenlits à fleurs très jaunes ; ils se sont assis sur un de ces bancs. On ne voyait personne, ici on ne dérange personne et on n’est pas dérangé. Ils n’avaient devant eux que la largeur de l’eau qui était vide, qui était lisse comme un plancher de chambre, tandis que l’avancement de la pente faisait qu’ils étaient complètement séparés du monde sur l’un et l’autre de leurs côtés. Rien que trois ou quatre lieues d’eau devant vous et rien dessus qu’une petite voile blanche ; et ici il n’y a personne, pendant qu’ils s’asseyent dans la grande chaleur parmi les sauterelles et les fourmis. Au-dessous d’eux et entre leurs pieds, se montrait une sorte de mare moussue produite par une source qui sortait du sol dans le bas de la falaise ; elle communiquait avec le lac par un espace marécageux planté de saules. Là, comme ils arrivaient, ils avaient entendu de nouveau les grenouilles sauter à l’eau, c’était tout. Il s’assied, il avait amené son accordéon sur ses genoux ; il le déboutonne comme un enfant à qui on ôte sa culotte, mettant le beau soufflet rouge à l’air, puis il essaie le do, le do dièze… Il pose sa joue contre l’un des plats de l’instrument ; il essaie une gamme, une autre.

Il parlait une drôle de langue. On aurait dit qu’il ne pouvait parler qu’à la condition de faire marcher d’abord son accordéon et il le faisait marcher. Ici, il n’y a que les choses bonnes