Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/208

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à voir, bonnes à entendre ; on ne les dérange pas, on n’est pas dérangés par elles. Et c’est ce qu’il a dit, c’est ainsi qu’il commence dans sa drôle de langue, mais on pouvait facilement l’entendre à cause de la musique qui est venue avant et vient pendant et vient après, parce qu’elle rit, cette musique, ou bien elle gronde, ou bien elle s’impatiente ou bien soupire, ou dit : « Tant pis ; » et est contente ou pas contente, ou encore se moque ou s’étonne ; il dit :

— Là-bas, on dérangeait…

La musique s’est amusée par une petite gamme qui part, montant vers la forêt où elle trompe un oiseau qu’elle réveille de se taire, — parce qu’on voit là-haut en renversant la tête les grands sapins vous pendre dessus.

— Et il n’y avait point de place pour vous, là-bas…

C’est ce qu’il dit : il a fait venir un grand accord pour mieux affirmer et marquer la chose :

— Point de place pour moi non plus…

Et le même accord est venu.

On voit qu’il a toujours la même petite tête pâle, les mêmes joues maigres et sans barbe, avec un peu de bleu aux tempes, un cou trop mince, plein de cordes ; et à ses mains aussi, il y a plein de cordes qu’on voit se tendre sous la peau :

— Point de place, non, point de place… Point de place pour vous, point de place pour moi.

Parce qu’il va, il va quand même ; mais alors, notre place à nous, est-ce que ce sera ici ?