Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/211

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— C’est que c’est mon oncle qui a mes papiers…

Mais il rit, l’accordéon rit, et là-haut la fauvette aussi, ou le pinson, ou la mésange.

— Et c’est que je n’ai point d’argent.

Mais il fait seulement aller ses doigts encore plus vite sur les touches.

Et la musique peu à peu change de rythme sous ses doigts ; l’oiseau, là-haut, les deux ou trois oiseaux se taisent, parce qu’ils entendent que la musique change : les fauvettes là-haut, les pinsons, les mésanges.

Il y a eu hésitation exprès et il y a eu faux-pas exprès dans les notes ; puis c’est comme quand on perd le souffle, puis ça se balance ; ça va d’un pied sur l’autre, sans changer de place, avec des ruptures et comme une attente ; est-ce qu’elle comprend ?

Il quitte d’une main les touches (tandis que l’autre va toujours) ; il ôte son chapeau, qu’il pose à côté de lui.

Elle comprend un peu mieux, elle ne comprend peut-être pas encore tout à fait bien : alors, sa main, à lui, est revenue aux touches, sa main les quitte de nouveau. Il ramasse une pierre, il la jette dans le chapeau.

Et alors la cadence éclate ; — deux pierres, puis trois pierres et quatre ; ainsi, on ira par le monde… Et vous…

Il n’a pas besoin de rien ajouter ; elle s’est mise debout. Il n’y a qu’un tout petit espace, ici, pas plus grand qu’un dessus de table, mais il n’y a pas besoin d’une plus grande