Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/221

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chemin qui longe la Bourdonnette, monté sur son grand cheval rouge, son cheval de dragon, plein de nerfs et de veines lui soulevant la peau, et dont la robe bien étrillée brille comme un toit lavé par la pluie. Toutes les belles choses de la terre sont là, et eux ils ont tous été là : Bolomey, Maurice qu’on ne voyait pas, Alexis sur son grand cheval, Chauvy avec sa petite canne, pendant qu’il y avait encore la salutation des montagnes. Et à présent Alexis, maintenant sa bête d’une main, ôte ses souliers dans les roseaux, c’est-à-dire qu’il avait passé son bras droit dans la bride et il tranquillisait la bête de la voix. L’harmonium de l’évangéliste a acheminé encore deux ou trois cantiques, ce matin, vers la haute voûte des arbres, devant les ouvrages de Dieu ; — ici, il se met pieds nus, pendant que la bête montre à son garrot la marque faite au fer par les autorités militaires. Toutes les grenouilles ont sauté à l’eau. Madeleine, Marie et Hortense ont été voir dans la forêt les places où elles trouveront la plus belle mousse pour quand le moment viendra de faire les guirlandes, et il ne va plus tarder beaucoup. Alexis, alors, cache dans les roseaux ses souliers, puis ôte sa chemise blanche, ayant sur le front les cheveux qui frisent et sur sa poitrine le poil est frisé. « Allons ! allons ! d’Artagnan, un petit moment de patience… Qu’est-ce que tu fais ? Tout doux… » Et la bête aux grands yeux troubles couleur d’eau de savon, recule brusquement, avance, tourne de travers sa croupe, où des frissons passent et dont la peau se plisse comme l’eau sous un coup de vent : « Allons ! allons ! tout doux d’Artagnan… »