Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/51

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ce bois ; le coucou chantait plus en amont dans le ravin. On voyait les troncs rouges porter à côté de vous dans le ciel une sorte de plafond noir ; c’était comme si, quand le jour venait sur l’eau brillante, la nuit fût demeurée dans l’épaisseur des branches, ne pouvant en être chassée. On la remisait là à l’aube pour l’en faire sortir de nouveau vers le soir. Puis, plus loin que le bois, le sable cessait de nouveau pour faire place à des galets, mais cette fois la rive s’élargissait rapidement, à cause d’une pointe qu’elle poussait vers le large. On passait devant la maison de Rouge qui était moins une maison qu’une sorte de hangar sans étage, mi-bois mi-briques, autrefois peint en jaune, précédé d’une remise avec les perches à filet ; pour pousser plus avant, il fallait s’engager entre deux murs de roseaux qui vous venaient plus haut que les épaules. On arrivait ainsi à la Bourdonnette. Et, là, on avait l’eau devant soi, tandis qu’on l’avait toujours à côté de soi ; mais c’était seulement une faible largeur d’eau, et dominée sur l’autre rive par une falaise très escarpée. C’était une eau morte, une eau sans courant. La pointe de terre qu’elle projetait du côté du couchant la mettait à l’abri des vagues qui viennent de Genève, tandis que la falaise la protégeait contre les coups de vauderre qui est un vent d’est. Là étaient les bateaux de Rouge (dans le bout du sentier qu’il retaillait chaque année à la serpette) ; deux bateaux à rames, dont le plus petit était peint en vert.

Ils étaient là les deux à leurs amarres, au-dessus de l’eau