Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/75

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Milliquet se mit à sourire, de son sourire difficile qui découvrait ses dents gâtées :

— Oh ! a-t-il dit, pour vous…

— Seulement, a dit le grand, à bon vin, belle fille. D’où l’as-tu, dis, vieux malin ? Et nous qu’on est des clients sérieux voilà que tu nous envoies une gamine, ou si c’est que tu veux garder l’autre pour toi tout seul ?… Qui est-ce ? et d’où l’as-tu ? Tu vas nous le dire, ou quoi ?

Parce que Milliquet avait pris un air sévère, et n’a pas répondu tout de suite et même ne paraissait pas vouloir répondre (c’est qu’on a sa dignité) : — puis, comme il s’agissait, en effet, de bons clients, et qu’il ne fallait pas les trop mécontenter :

— C’est ma nièce…

— Ta nièce ?

— Oui, la fille de mon frère.

Il parlait froidement et avec une espèce de supériorité, comme quelqu’un qui sait le prix de ce qu’il a ; puis il s’est mis pourtant à raconter l’histoire (continuant d’être flatté quand même à l’idée qu’il avait encore toute cette histoire à raconter et qu’il allait avoir cet autre bénéfice de s’être conduit en bon frère).

— Ah ! disait le grand noir, et puis peut-être qu’elle est riche ; veinard ! Elle vient d’Amérique, tu dis, le pays des dollars ! Ah ! veinard de veinard…

Mais Milliquet secouait la tête ; c’était là une autre question.