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DANS LA MONTAGNE

oublier une ou deux bottilles de muscat (qui sont de petits barils plats en mélèze, de la contenance d’un pot, — ou un litre et demi). Ils avaient des souliers ferrés et les deux Crittin des jambières de cuir, les autres des guêtres de drap boutonnant sur le côté. On va d’abord à plat sur la rive gauche du torrent coulant dans un lit très encaissé, entre deux fortes marges de sable qui apparaissent sitôt que l’eau commence à se faire rare, mais en cette saison les bancs de sable et les deux berges elles-mêmes avaient complètement disparu. On voyait vaguement le torrent hausser à plein au ras des prés son dos blanc, qui semblait bouger sur place. Le bon pays était ici avec son herbe déjà haute, pleine de fleurs ; ici c’était encore le bon pays où le torrent était silencieux et tout tranquille dans les herbages, comme une bête en train de pâturer. Les hommes marchaient en deux groupes : le Président et Crittin plus devant. Le Président avait une lanterne ; la garde de commune avait une lanterne. On a commencé à monter. On s’éloignait peu à peu du torrent qu’on laissait descendre sur sa gauche comme à la corde, tandis qu’on montait soi-même sur la droite, parmi des bosses de terrain qui