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LA GRANDE PEUR

lot un baquet plat, de ceux qui servent à lever la crème ; il revint avec le baquet.

Eux l’ont pris. Ils le tenaient devant eux des deux mains ; ils buvaient en mettant la bouche dedans comme des bêtes.

Ils burent ; des gouttes tombaient de leurs moustaches et de leur barbe faisant des ronds noirs sur les pierres.

Ils burent, ils se taisaient ; ils ne faisaient pas un mouvement.

De nouveau, la belle journée allait, faisant glisser le soleil d’une arête à l’autre, au-dessus de nous, comme le long d’un câble, sans qu’ils bougeassent davantage, sans qu’ils parlassent davantage. Et c’est alors que, tout à coup, Joseph s’était tourné vers le maître ; on a été étonné du son de sa voix ; il a dit :

— C’est bien samedi, aujourd’hui ?

Le maître l’a regardé avec un regard pas habité, un regard gris, un regard plein de brume ; il fait signe qu’il ne sait plus. C’est Barthélemy qui a répondu à sa place :

— Oui, c’est samedi.

— Alors, c’est aujourd’hui qu’on apporte les provisions ?

Et Barthélemy : « Je crois bien que oui, » puis un nouveau silence, puis Joseph :