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LA GRANDE PEUR

on met les mains autour de la bouche, venaient aussi, même les plus petits. Joseph chercha des yeux la maison de Victorine ; il la trouva sans peine dans le bas d’une des ruelles, de l’autre côté de la rivière ; il voyait qu’il n’y avait personne devant la maison.

Le village semblait extraordinairement désert, ce soir-là ; — un enfant pleurait, une femme crie, puis une mère appelle sa fille, puis c’est une porte qu’on ferme.

Il y avait les petits feux de bois qui fumaient bleu à toutes les grosses cheminées carrées, au-dessus des toits, qui étaient gris.

Il devait passer la rivière ; c’est pourquoi il lui faudrait attendre qu’il fît nuit ; sans quoi on le verrait venir de loin, et s’il continuait d’avancer, on lui tirerait dessus, car il était comme les réprouvés qui n’ont plus permission de se mêler aux autres hommes ou seulement de s’approcher d’eux.

Mais, patiemment, il attendait ; il regardait, il écoutait, laissant la nuit venir qui heureusement vous dérobe aux yeux en vous rendant semblable à elle ; — étant déjà d’ailleurs dérobé aux yeux par les feuilles, tandis qu’il tenait ses jambes à plat devant lui et avait mangé son pain.