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LA GRANDE PEUR

une des parties du village où l’ombre était plus épaisse qu’ailleurs, donnant le signal ; c’est bien comme ça que ça va toujours, parce qu’il y a des ruelles plus étroites et moins claires que d’autres. On ouvrait aussi la porte des étables pour faire aller boire les quelques vaches qu’on garde, l’été, quand toutes les autres sont à la montagne ; les quelques vaches qu’il faut bien, à cause du lait, et il y avait ces carrés de nuit, puis des carrés encore clairs, mais le nombre des carrés clairs allait diminuant toujours plus. Joseph aurait pu maintenant s’avancer sans être découvert, ayant été gagné lui-même par l’ombre ; — et trois lumières, puis cinq lumières ; — puis on rentre le bétail, on ferme les portes ; on entend pleurer les enfants. Joseph voyait que tout était comme toujours et en même temps le cœur lui tape contre les côtes. Il vint en avant, il vint encore un peu en avant, puis il s’arrêta, comme n’osant pas aller plus loin ; pourtant la nuit était tout à fait venue. Il était dans une nuit d’autant plus noire qu’il y manquait les étoiles, il aurait pu venir sans crainte, alors quoi ? Il a dû se raidir, il a dû se dire : « Il faut, » et se forcer ; puis s’avance, descend la pente. Et personne sur