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LA GRANDE PEUR

veau, et elle vint de son côté, tandis que le maître, les mains dans les poches, regardait à terre et son neveu continuait à mordre dans son pain.

Il y avait une lumière jaune ; c’est ce dimanche, c’est l’avant-dernier jour. C’était ce dimanche matin, c’était le matin de l’avant-dernier jour ; — il continuait à faire une grande chaleur, bien que le soleil ne se fût pas montré et qu’il ne dût pas se montrer de toute la journée. Le ciel tout entier était immobile, en même temps qu’il descendait de plus en plus, quoique avec beaucoup de lenteur, et déjà les crêtes étaient cachées, de même que le haut du glacier. On se heurtait partout les yeux à ce plafond, qui allait, posé à plat, de l’une à l’autre des parois, sans joints visibles, ni fissures, mis là comme pour toujours et niant le ciel véritable. Il y avait dessous l’odeur de la mort qui venait ; il y avait dessous le meuglement des bêtes. Celles qui restaient encore debout, qui se tournaient alors vers vous, vous ayant vus, puis venaient ; celles qui ne pouvaient plus venir, étant couchées sur le flanc, la langue sortie ; quelques-unes tout enflées déjà et immobiles sous les mouches, certaines qui essayaient de se soulever par