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LA GRANDE PEUR

ne fait son bruit qu’un instant, puis son bruit cesse pour toujours. À chaque pas, la mort vous guette ; mais que lui importait à lui ? c’est pourquoi son corps allait sans hésiter. Son corps le menait, avec ses pensées qui n’étaient pas ici. Il n’y avait que son corps qui fût ici. Et son corps obéissait au souvenir et à l’habitude, tandis que ses yeux avaient retrouvé dans la neige ses traces de la veille, et à présent, dans ces grands champs blancs et tristes, elles lui écrivaient son chemin à l’avance entre les quatre murs de brume qui allaient se déplaçant à mesure qu’il se déplaçait. Est-ce qu’il s’est seulement aperçu de l’insupportable chaleur qu’il continuait à faire et de la pesanteur de l’air, ce matin-là ? Oh ! c’est qu’il continuait de la voir, elle et elle seulement ; il la regardait pendant une grande durée de temps, puis : « Ce n’est n’est plus elle ! » Alors de nouveau il faisait un mouvement avec le bras ou il secouait la tête pour la chasser loin de lui. Il était deux hommes, il a été deux hommes un grand moment encore dans ces solitudes, plus solitaires que jamais, dans l’immobilité d’ici où il a été la seule chose en mouvement, ce dernier matin, parce qu’aucun