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LA GRANDE PEUR

Il s’était trouvé prêt une bonne demi-heure à l’avance, il s’était assis avec sa canne sur le banc, attendant que le moment de se rendre à l’église fût venu. On le voyait par les fenêtres, assis sur son banc, les mains sur sa canne, et personne encore ne l’avait rejoint, pendant qu’on sonnait pour les morts.

Nous autres, on n’était pas prêts, ou ceux qui l’étaient ne se montraient pas, de sorte qu’un grand moment encore le vieux Munier a été seul.

On sonnait pour les morts. Nous autres, on regardait par la fenêtre, pendant qu’on se tenait devant nos petits miroirs avec le pinceau à barbe ; on n’avait qu’à lever les yeux pour voir à travers les carreaux la couleur que prenait le ciel.

On sonnait pour les morts. C’était une couleur comme celle du froment trop mûr après que l’épi s’est doré d’abord, puis il tourne au rouge et au brun ; elle formait une peau sur le ciel comme celle qu’il y a sur les yeux des aveugles.

On regardait ; on n’avait que sa chemise sur le corps, pourtant on était en transpiration. Pas une feuille ne bougeait, ni même les fleurs les plus minces de tige et les plus