Page:Rappoport - La Philosophie sociale de Pierre Lavroff.djvu/32

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pour qu’il soit vraiment un socialisme « intégral », il doit, je crois, contenir les éléments suivants :

1) L’intégralité du but. Ce qui a fait et fait encore la grande force historique du socialisme, c’est son idéal clair et défini de la transformation de la propriété privée dans un sens défini, collectiviste ou communiste. Toutes les formules plus ou moins vagues, plus ou moins hypocrites qui ne contiennent pas cette revendication principale des socialistes de tous les pays est condamnée d’avance à rester stérile et inefficace.

2) L’intégralité des moyens. Tout le monde sait quelles terribles luttes les partis socialistes ont eu à soutenir pendant presque un siècle sur ce terrain si fertile en difficultés qui paraissaient à bien d’esprits presque insurmontables. Antirévolutionnaires et révolutionnaires, fédéralistes et centralistes, coopérateurs et anticoopérateurs, syndicalistes et politiciens, parlementaires et antiparlementaires, intransigeants et possibilistes ou opportunistes, — partisans des moyens spéciaux (grève, boycottage, « propagande par le fait ») et leurs adversaires, tous se sont combattus avec ardeur les uns les autres au nom d’une tactique que chacun de groupes déclarait la seule bonne. Après des discussions sans fin, on semble arrivé à cette simple conclusion : que tous ou presque tous ces moyens ont leur utilité et que pas un n’a le privilège d’être le seul efficace. On se trouve donc actuellement en bonne voie. Elle mène directement à ce que j’ai appelé l’intégralité dite des moyens.

3) L’intégralité des motifs. Quel est le mobile qui nous pousse vers le socialisme ? Est-ce l’intérêt ? Ou l’idée ? L’égoïsme ou l’altruisme ? L’intérêt de classe ou celui de l’individu ? Le sentiment ou la raison ? Les partisans du socialisme intégral cherchent à étudier le rôle de chacun de ces mobiles et de lui indiquer la place qu’il doit occuper dans l’élaboration d’une nouvelle société. À chacun des motifs selon son mérite.

4) L’intégralité philosophique. Le socialisme a sa philosophie. Il a une philosophie de l’histoire à lui. Il cherche à lier l’avenir au présent, le présent au passé. Différents principes, différentes doctrines se présentent. Les uns s’en tiennent à l’idéalisme ou à l’intellectualisme qui voit dans le socialisme l’aboutissant d’une évolution d’idées. Les matérialistes le considèrent comme une phase nécessaire dans l’évolution des modes de production. Les autres l’expliquent par le développement des idées et des sentiments humanitaires.

Le socialisme intégral donne raison ou plutôt tort à tous ces partisans d’un seul facteur privilégié et s’applique à montrer que le socialisme est le résultat de toute l’évolution historique, économique aussi bien que politique, morale et intellectuelle. Ce qui ne veut évidemment pas dire que le socialisme intégral remplace la théorie de la